17.3.17

1141 - L'amour, la mort, la merde

1. L'essentiel du message pour les gens pressés (descends jusqu'au 2 si ce n'est pas ton cas)

Robinson a failli s'appeler D'amour et de merde - et pas mal d'autres titres accrocheurs. Il raconte le quotidien entre un père non-autiste et son fils oui-autiste. La communication sans parole, les agacements à répétition, les jouets jetés en haut de l'armoire, les langes qui se remplissent ou qu'on arrache quand Papa n'est pas là, parce que c'est quand même rigolo de jouer avec son caca. Ou parce que c'est la seule façon de communiquer avec lui.


Il faudrait des mots à part pour t'évoquer la douceur, la délicatesse, la bienveillance, l'amour plein de finesse et d'élégance de ce père-là pour ce fils-là ; il faudrait souligner les passages qui mettent les larmes aux yeux, ceux qui font sourire, ceux qui font résonner dans ta poitrine le coeur de l'humanité.  Sauf qu'alors, il ne resterait pas grand-chose sans soulignage dans le bouquin.

Laurent Demoulin, père, homme, belge, poète, universitaire, cite Roland Barthes avec l'humilité des grands érudits ; mais plus encore, il le convoque - dans le récit des promenades dans Liège, dans l'analyse minutieuse et douce de la façon dont Robinson change son regard, sa présence au réel, on retrouve des échos de la voix du sémiologue. Et du haut de douceur, il détaille pour nous l'ordre du monde gentiment chamboulé (ou violemment mis à bas) par cet enfant radicalement autre. Au-delà du journal d'un corps, du quotidien cru, il nous montre l'affection immense qui relie les êtres, même les plus lointains.

Alors merci, Laurent, merci infiniment.
Bon, et maintenant, il va falloir que j'achète ton livre. Pour l'offrir à ceux que j'aime et le prêter à mes amis.

Finalement, tu es un super commercial.



2.  Introduction à lire avant si tu as le temps

Il était là, dans son costume en velours grenat, surveillant un peu nerveux les acheteurs potentiels de son livre, s'essayant au rôle difficile de commercial assis. J'étais à côté de lui, derrière nos romans respectifs, à manger des chiques et à boire du café dans un gobelet en carton.

C'était sans doute une de ses premières signatures ; il hélait les passants de la Foire, se demandait comment faire pour qu'ils s'arrêtent. Je me sentais vieux de la vieille, nonchalant, repérant du coin de l'oeil le lecteur en puissance, baissant la tête quand surgissait l'inévitable non-acheteur mu d'un besoin irrépréssible de nous parler de sa vie. N'empêche, le salon commençait, on était vendredi matin, et la plupart des visiteurs avaient moins de douze ans - pas le public idéal pour de la littérature générale et sans petits dessins. Alors, entre commerciaux, on s'est mis à bavarder.

- Il parle de quoi, ton livre ?
- C'est une sorte de journal où je parle de la vie avec mon fils. Il est autiste. Et le tien ?

Euh... bin, c'était La 2CV verte. Où il y a un père et un fils autiste.
//Bref, l'impression immédiate d'être un usurpateur//
J'allais louer le hasard ou la sagacité des maisons Gallimard et Denoël réunies quand une dame s'arrêta devant nous.

- J'ai lu votre livre, Monsieur. Il est magnifique. Je l'ai dévoré d'une seule traite. Il fait du bien au coeur. A l'humanité.

Et mon grand gaillard au costume grenat - à qui s'adressait le compliment -   de bafouiller une réponse presque adaptée.

- Je t'achèterai ton livre, m'a-t-il dit après le départ de la dame (et celui de l'autre monsieur venu lui tenir le même discours, et celui de l'autre dame encore).
- Moi pas.

Tu m'imagines surjouant l'impolitude pour masquer ma gêne - mais bon, je n'avais pas de sac et il faut avoir les mains libres pour marcher dans Bruxelles, non ?

Alors j'ai pris le titre - Robinson - et le nom du grand belge en costume - Laurent Demoulin - en lui promettant d'acheter son livre dès mon retour à Toulouse.

Je n'ai pas tenu parole ; j'ai attendu presque une semaine, et je l'ai emprunté à la médiathèque Jojo-Cannabis, où il trônait en tête de pas gondole (parce que c'était sur une table, pas une gondole, mais tu vois le truc).

Et le soir même, comme la dame, le monsieur et la dame avant moi, je l'ai lu d'une seule traite.


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